Tous les mois, l'écrivain Brunoh vous offre une nouvelle, qui nous rappelle, au-delà des données macro-économiques, que la recherche d'emploi constitue, avant tout, l'histoire personnelle de millions de femmes et d'hommes… La vôtre, peut-être ?
LE DECLENCHEUR 7...
Résumé des épisodes précédents
Novembre 1994 : Joris, jeune parisien récemment arrivé à Strasbourg pour y trouver du travail, participe à l’inauguration du Tram. Il repère, parmi les voyageurs, une femme accompagnée de sa petite fille. Il se jette sur elle et parvient à l’éjecter de la voiture en marche. En chutant, la femme s’accroche à lui. Ils meurent ensemble, leurs corps sectionnés par un tunnel. Daphnée, la soeur jumelle de Joris restée à Paris, croit qu’il n’y est pour rien...
Juillet 2011 : Daphnée, en vacances à l’île de Ré avec son mari Isaac et leur fille de six ans, Lisa, reçoit un mystérieux coup de fil, en relation avec le drame survenu 17 ans auparavant. Troublée, elle promet à son interlocutrice de la rejoindre, prétextant une urgence professionnelle pour ne pas avouer à son mari la véritable raison de son déplacement...
Deux jours plus tard, Daphnée retrouve à Strasbourg Sabrina Melfi, jeune inspecteur de la police judiciaire, qui n’est autre que la fille de la personne que Joris a tuée en 1994.
Sabrina annonce à Daphnée qu’elle a décidé de rouvrir l’enquête suite à la découverte, dans l’ancienne maison familiale, d’un message de menace que sa mère aurait reçu et dissimulé peu de temps avant son meurtre. Joris et elle ne s’étant a priori jamais rencontrés avant l’accident du tram, les deux femmes décident d’élucider ensemble ce mystère...
Après une après midi consacrée à éplucher les dossiers en toute complicité puis un dîner un peu trop arrosé, Sabrina embrasse fougueusement Daphnée.
Quelques secondes plus tard, elle se fait agresser devant sa voiture par l’ex-inspecteur Muller, initialement chargé de l’affaire Joris, avant sa mise en retraite anticipée. Tandis qu’il menace Sabrina de son arme sous les yeux de Daphnée, cette dernière entend dans sa tête la voix de son frère défunt, qui lui hurle de sauver Sabrina et lui apprend que Muller n’est pas maître de ses actes...
Au même instant, la scène s’interrompt et les personnages se figent : seule Daphnée parvient encore se mouvoir à vitesse normale. Elle profite de ces quelques secondes hors du temps pour désarmer Muller et sauver Sabrina, avant de s’évanouir....
Le lendemain matin, à l’autre bout de la ville, le rabbin Israël Chochana se prépare pour la prière. Il a fondé, dès son arrivée à Strasbourg à la fin des années soixante, une école talmudique réputée. Ses enseignements Kabbalistiques sont, depuis toujours, placés sous le sceau du secret. Soudain, sa femme s’adresse à lui d’une voix étrange, possédée par un certain Nathanaël, qui se serait introduit dans son esprit durant son sommeil. Israël Chochana, loin d’être effrayé, dialogue avec lui et apprend la raison de cette intrusion : Nathanaël, ancien étudiant de Chochana, craint d’être dénoncé par le vieux Rabbin, la seule personne à connaître son secret. Israël Chochana quitte son appartement, résolu à l’empêcher de nuire de nouveau, mais il se fait agresser, au bout de sa rue, par un skin head.
Ce dernier, interrogé par Sabrina Melfi au sujet de ce qui ressemble à une agression antisémite, finit par avouer qu’il n’était pas maître de ses actes au moment des faits. Après Joris en 1994 et Muller la nuit précédente, l’inspecteur Melfi se demande qui se cache derrière ces histoires de «possession»...
Pendant ce temps, Daphnée, la soeur de Joris, retourne à l’île de Ré pour y rejoindre son mari Isaac et sa fille Lisa. A peine arrivée, elle reçoit, le soir même, un appel de Sabrina, qui lui raconte l’histoire du rabbin assassiné et lui apprend que la femme de ce dernier vient de lui remettre une preuve effrayante, qui impliquerait Isaac dans toute cette affaire. En 1994, celui qui allait devenir le mari de Daphnée aurait vécu à Strasbourg sous le prénom de Nathanaël...
Sabrina jure à Daphnée qu’elle court un grand danger et lui demande de la rejoindre au plus vite.
Épisode 7 : Il pleut; il pleut bergère...
13 juillet 2011 - Sur l'autoroute A10
À bord de sa Jaguar XJ flambant neuve, Isaac Perez fulminait.
Les raisons de sa rage étaient si nombreuses qu’il les avait classées par ordre d’importance.
Tout d’abord, il y avait la pluie, qui l’empêchait de tirer la quintessence de son V8 de cinq cent dix chevaux.
Puis il y avait la BMW série 7 qui le précédait, et dont le conducteur s’obstinait depuis deux kilomètres à rester sur la file de gauche, alors qu’il aurait pu se rabattre entre deux voitures pour le laisser passer.
Il y avait aussi Lisa, juchée sur son siège enfant, à l’arrière, qui ponctuait chaque minute écoulée de demandes insistantes et variées.
Enfin et surtout, il y avait Daphnée.
Elle avait voulu rentrer à Paris avec deux jours d’avance, prétextant que le temps peu clément les privait des plaisirs de la plage, et qu’il serait plus agréable de voir le feu d’artifice du quatorze juillet sur les Champs Élysées.
Elle mentait.
D’ordinaire, elle n’aurait jamais renoncé à une seule minute de ses vacances à l’île de Ré. Certaines années, il lui était même arrivé de rentrer seul, pour la laisser profiter de quelques jours supplémentaires.
Isaac fit des appels de phares à la BMW, qui se rangea de mauvaise grâce, tout en accélérant. Malgré cette tentative teutonne, il ne fallut que quelques secondes à la puissante anglaise pour la distancer. Le compteur de la Jaguar affichait plus de deux cent dix kilomètres à l’heure, mais Daphnée ne fit aucune remarque. La tête tournée vers la droite, elle semblait perdue dans ses pensées.
Isaac aurait aimé s’y immiscer, mais cela ne fonctionnait pas ainsi. Il alluma l’autoradio, un système audio Bowers & Wilkins 1200W Surround Sound, comprenant 20 haut-parleurs, alimentés par 15 voies, et doté d'encodeurs Dolby® Pro-Logic IIx et DTS™ Neo:6., comme le précisait la brochure.
Il sélectionna un CD de musique israélienne, espérant que les voix de Shimon Buskila et de Shlomo Artzi égayeraient l’ambiance.
Isaac détestait le silence. Il aimait les discussions légères et enjouées. Il détestait aussi la vérité. Sur ce point, Daphnée et lui s’étaient bien trouvés.
Au jeu de l’amour et du hasard, il était rare que ce dernier gagne.
Le soir du 31 décembre 1999, Daphnée était résolue à trouver son âme soeur. Isaac lui en avait donné l’opportunité.
Aujourd’hui, à part quelques sociologues, plus personne n’acceptait l’idée que l’amour puisse se décider. On critiquait les mariages arrangés, leur préférant les divorces inéluctables.
Daphnée était prête ; Isaac avait saisi l’occasion. Et cela avait débouché sur une union solide. Depuis onze ans, il jouait de bonne grâce le rôle du juif sépharade insouciant. Il avait appris à aimer Daphnée, à calmer ses inquiétudes et ses angoisses. Depuis la naissance de Lisa, elle semblait apaisée. Ces dernières heures étaient en train de lui donner tort.
Daphnée posait un regard absent sur le paysage qui défilait en silence. Isaac semblait satisfait de sa nouvelle acquisition. Il avait toujours aimé les voitures puissantes. À leur premier rendez-vous, il était venu la chercher, en bas de chez elle, en Porsche 911.
Une heure quinze plus tard, ils déjeunaient à Deauville. Un luxe du siècle dernier, avant la généralisation des radars fixes et mobiles. Avec Isaac, tout semblait s’accélérer. Il pensait vite, réagissait vite, riait puis vous engueulait, avant de se réconcilier avec vous dans la foulée... Une vie entière en excès de vitesse.
Quand elle lui avait parlé de son diplôme de biologie, il avait appelé un de ses collègues chercheurs : la semaine suivante, Daphnée était embauchée dans la société où elle officiait encore aujourd’hui. Isaac avait quitté l’entreprise l’année suivante, débauché par un laboratoire qui lui avait dressé un pont d’or pour une mission évaluée à cinq ans. Il l’avait remplie en moins de trois années, contribuant à développer un vaccin qui avait rapporté une fortune. Il avait de nouveau démissionné, avant d’épuiser deux postes similaires dans de prestigieuses sociétés. Enfin, il avait fondé son propre centre de recherches en 2009, parvenant à débloquer d’importants fonds européens en moins de deux mois. Depuis, il avait embauché une dizaine de collaborateurs et son entreprise semblait si florissante qu’il envisageait la cotation en bourse. Avant de la revendre, pour partir vers d’autres aventures.
Tel était le rythme de fonctionnement d’Isaac-le-feu-follet.
Depuis la naissance de leur fille, il s’efforçait de se montrer disponible, ayant installé à cet effet un bureau au premier étage de leur duplex parisien. Daphnée aurait préféré une grande maison en proche banlieue, mais Isaac refusait de s’éloigner de la capitale, où il avait passé, selon ses dires, chaque seconde de sa vie.
En affirmant cela, il avait sciemment occulté sa parenthèse strasbourgeoise. Un tel mensonge aurait dû paraître anodin aux yeux de Daphnée, qui s’était appliquée, pour sa part, à dissimuler l’ensemble de son passé.
Sauf qu’elle n’était pas préparée à ça. Isaac représentait à ses yeux un modèle de simplicité. Il fonctionnait en mode binaire : juif mais non pratiquant, speedé mais non fumeur, agressif mais tendre, rapide mais perfectionniste, misanthrope mais humaniste... Daphnée avait, depuis le jour de leur rencontre, l’impression de pouvoir lire en lui, persuadée qu’il serait incapable de lui mentir, même pour une chose anodine.
Depuis deux jours, elle savait que son mari possédait, lui aussi, un passé trouble. Le pire, c’est qu’elle se sentait incapable de lui en parler. Après tout, il ne s’était jamais permis de la questionner elle. Il l’avait prise comme elle était, avec ses crises d’angoisses, ses sautes d’humeur et ses mystères. Il avait respecté cela, pressentant qu’il risquait de la perdre s’il agissait autrement...
Aurait-il agi ainsi parce qu’il savait déjà tout ?
Quel était le lien entre le N. qui avait adressé un message de menaces à la mère de Sabrina avant son meurtre et ce Nathanaël ?
Même si, comme elle le prétendait, Isaac s’était un jour appelé ainsi, qu’il avait vécu à Strasbourg sous ce nom durant cette période, comment aurait-il fait pour se servir de Joris afin de tuer cette femme ?
A cet instant, Daphnée sentit un frisson glacé parcourir son corps. Si tout était prévu depuis le début ? Si le seul grain de sable dans cette mécanique était justement Sabrina Melfi, qui avait rouvert l’enquête en découvrant ce message ?
Cela pouvait expliquer l’agression qu’elle avait subi sous les yeux de Daphnée. Ce soir là, l’esprit de Joris était présent. Il hurlait à sa soeur de sauver Sabrina parce qu’elle était la clef conduisant à la vérité. Une vérité qu’Isaac cherchait à occulter depuis dix sept ans.
Daphnée se massa les tempes.
Isaac venait de mettre de la musique. Il ne supportait pas les trop longs silences. Elle le connaissait par coeur.
Son mari était un type bien. Un père génial. Un amant exceptionnel.
Sabrina Melfi avait été agressée par son ancien collègue parce qu’elle l’avait évincé. Le pauvre Muller s’était trouvé dépossédé de son job par une petite arriviste. Il n’avait pas supporté. Quant à Daphnée, elle avait été le jouet d’une hallucination. Le choc avait réveillé en elle le souvenir de son jumeau défunt. Elle avait eu l’impression que, cette fois, elle pouvait faire quelque chose pour empêcher le drame. Peut-être même avait-elle réellement désarmé Muller, avant de s’évanouir. Elle n’était plus sûre de rien. Sauf d’une chose : la mère de Sabrina était une Marie-couche-toi-là. L’un de ses amants avait voulu se venger en lui envoyant ce message. TU AS COUPE MON COEUR EN DEUX, JE FERAI PAREIL AVEC TON CORPS.
Peut-être aurait-il mis ses menaces à exécution, mais son frère Joris ne lui en avait pas laissé le temps. Il avait été pris d’un délire meurtrier : choisissant sa victime au hasard, il était mort avec elle. Comble de l’ironie, leurs corps avaient, effectivement, été sectionnés !
Cela arrive à beaucoup de gens, les coups de folie. Ils font même régulièrement la une des journaux. Des pères qui assassinent leur famille. Des lycéens qui tirent sur leurs camarades... C’était aussi simple que ça.
Contrairement aux apparences, Sabrina n’avait pas surmonté son traumatisme. Elle cherchait, aujourd’hui encore, un responsable. Et Daphnée était rentrée dans ce jeu malsain. La preuve : cette histoire de skin head. Comment pouvait-elle imaginer qu’il s’agisse, là aussi, d’une histoire de possession et croire que son mari était capable de tuer un rabbin ?
Daphnée tourna la tête en direction d’Isaac. Elle lui sourit.
- Ce soir, j’irais bien faire un resto avec toi. On pourrait déposer la petite chez tes parents... En plus, ça leur fera plaisir de la voir.
- OK, je réserve une table au Zébra.
Il pianota sur l’écran central de la Jaguar avec gourmandise, passa l’appel, mit le système en mode radio, sur FIP, puis posa sa main sur la cuisse de Daphnée.
A l’arrière, Lisa s’était enfin endormie. Après dîner, ils n’iraient pas la récupérer mais rentreraient chez eux pour faire l’amour. Elle lui devait bien ça. Elle, qui était allée jusqu’à écourter leurs vacances à l’île de Ré pour retrouver, demain, à Paris, Sabrina Melfi. La petite blonde charmeuse, qui se moquait de ses sentiments et tentait de la faire entrer dans un jeu beaucoup plus trouble qu’il n’y paraissait.
Lorsqu’ils arrivèrent sur le périph, la radio diffusait une chanson de Bashung.
Un jour je t'aimerai moins
Jusqu'au jour où je ne t'aimerai plus
Un jour je sourirai moins
Jusqu'au jour où je ne sourirai plus
Un jour je parlerai moins
Jusqu'au jour où je ne parlerai plus
Un jour je courrai moins
Jusqu'au jour où je ne courrai plus
(Source : Exclusivité Web - été 2011)
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