Imprimer la page JOB Stories - Figurant libre

Tous les mois, l'écrivain Brunoh vous offre une nouvelle, qui nous rappelle, au-delà des données macro-économiques, que la recherche d'emploi constitue, avant tout, l'histoire personnelle de millions de femmes et d'hommes… La vôtre, peut-être ?

FIGURANT LIBRE

J’avais signé le contrat sans réfléchir. L’offre était alléchante.

On vous a déjà proposé, à vous, un job dans lequel vous n’auriez rien d’autre à faire que de continuer à vivre normalement ?

Se lever le matin, enfiler son caleçon, faire couler un café, aller courir, se doucher, s’habiller, prendre rendez-vous avec une amie pour le déjeuner, monter dans sa voiture, se garer, s’installer en terrasse, commander le menu du jour, manger en parlant de tout et de rien, demander l’addition, décider d’aller faire un peu de shopping, en profiter pour acheter du pain, donner une pièce au mendiant du coin de la rue, rentrer chez soi,

répondre à ses e-mails, surfer sur le net, recevoir le coup de fil d’un vieil ami, lui proposer de prendre un pot le lendemain soir, faire chauffer le dîner en regardant le journal de 20 heures, choisir la série de France 2, faire infuser une tisane avant d’aller se coucher... Et recevoir, chaque mois, un salaire conséquent !

Les inconvénients ? A mes yeux, il n’y en avait aucun.

La routine ? J’adorais ça ! Et puis, entre nous soit dit, ces journées n’étaient guère différentes de celles que j’avais vécues durant mes années de chômage.

Quelquefois, ma vie sortait de l’ordinaire.

Il y avait les périodes d’élections, où je devais me rendre à mon bureau de vote, rejoindre l’isoloir et glisser dans l’urne le bulletin de mon choix.

Sans oublier la violence et les agressions, au centre ville. J’en sortais toujours vainqueur. Au début, cela m’avait étonné. Les semaines passant, je m’étais habitué à mettre mes agresseurs en fuite.
Jusqu’au jour où l’un d’eux glissa sur le trottoir. Au lieu de s’enfuir en courant droit devant, il tituba, me laissant la possibilité de lui asséner un coup de poing dévastateur.

Il chancela, avant de tomber lourdement contre la façade de l’immeuble. Qui s’écroula. L’enfant se tenait juste derrière. Il ne devait pas avoir plus de huit ans. Vêtu d’un pyjama brillant et translucide, il recula en laissant échapper un cri. Trop tard. Ses jambes étaient coincées sous l’amoncellement de gravats.

Je me précipitai vers lui, craignant qu’il ne soit blessé. Il se mit à hurler de plus belle, dans une langue qui ressemblait à un mélange d’anglais et de français. Sa prononciation était étrange ; le débit de sa voix rendait la plupart des mots incompréhensibles. J’essayai d’appeler les secours, mais les icônes de mon i-Phone en plastique restèrent figées. Je dégageai, une à une, les pierres : elles étaient aussi légères que du balsa. Puis je pris l’enfant, indemne, par la main. C’est à ce moment que la foule déboula, sortant des immeubles par les portes et les fenêtres. Sous le nombre et la pression, les autres façades s’écroulèrent. Il s’agissait d’une véritable émeute... sauf que ces gens ne s’attaquaient pas à moi. Ils me fuyaient, comme si j’avais été un animal sauvage en liberté !

Je tenais toujours l’enfant transi de peur par la main, lorsqu’un épais brouillard envahit l’atmosphère. A cet instant, je m’évanouis. Quand je me réveillai, j’étais attaché à une sorte de lit transparent. Penchés au-dessus de moi, trois hommes en habits de lumière me dévisageaient. L’un d’eux s’approcha et prit la parole, articulant avec difficulté un français approximatif.

- Voilà le risque de ne pas prendre un fake.

- ... Où suis-je ?

- Homme du passé, la vraie question n’est pas où tu te trouves, mais quand. Tu es dans le leisure complex N°3 depuis le... euh... début de ton job... le 3 juin 20043 exactement, en Temps Universel. Toi avoir compris ? J’avais dit trop dangereux faire venir vrais humains dans cette période avancée de la civilisation. Reconstitution historique plus meilleure,

mais danger ! Toi repartir !

J’étais en train de faire un peu de jardinage sur ma terrasse lorsque mon téléphone sonna.

C’était Rodrigue.

- Alors, vieux, ça fait des mois que je n’ai plus de nouvelles !

- Oui, j’étais en... voyage.

- Bon, et bien on va fêter ton retour : figure toi que j’ai deux entrées pour le Puy du Fou.Cet été, il y a de nouveaux spectacles, dont une scénographie sur le monde des gladiateurs, sous la Rome antique. Tu t’y croirais, je te jure ! Et le village du Moyen Âge,avec ses comédiens habillés en costumes d’époque, trop excellent !

-Des comédiens ?

Je raccrochai et sortis de nouveau sur ma terrasse pour fumer une clope en observant, allongé sur mon transat, le bal des oiseaux dans le ciel.

Là, juste derrière l’azur, les ombres de spectateurs invisibles se rassemblaient pour la séance de quatorze heures.

 

(Source : Journal l'offre d'emploi Alsace - Edition octobre 2011)

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